La civilisation de l'île est avant tout orale. Très longtemps, il n'y eut pas de littérature écrite. La poésie se chantait, vibrait au rythme du cœur des hommes; chaque geste était un hommage à la terre, chaque mot un hymne à son nom.
En Corse, tout est prétexte à confier ses tourments et ses bonheurs à une mélodie, dans une infinie variété de styles locaux.
On chante pour enterrer ses morts bien sûr (lamentu); mais on chante aussi pour travailler aux champs (tribbiera) ou pour se venger (voceru), et même pour déclarer son amour (sirinati)...
Bien sûr, ce sont les nanne (berceuses), les giratonde (rondes enfantines) mais surtout des chants qui marquent les grands évènements calendaires ou les grands travaux collectifs saisonniers; des chants guerriers ou même électoraux; le chjam' è rispondi (chant humoristique ou satirique retraçant les petites chroniques locales) où se mesurent les poètes les jours de fête et de réunion;
Le " chjam' e rispondi " est un divertissement poétique chanté depuis des temps immémoriaux.
Lors d'une fête, le village se rassemble et deux adversaires s'affrontent dans un duel poétique, chacun devant trouver une réponse pertinente. Les esprits s'éveillent, les phrases fusent, les liens de la communauté se resserrent et c'est souvent sous l'emprise de la fatigue que l'un ou l'autre s'avoue vaincu. Le sujet peut être banal, l'important est la répartie, le sens de l'humour et la finesse d'esprit. Les règles en sont cependant strictes : les strophes sont faites de trois vers rimés de seize syllabes, chacun coupé par une césure.
Les lamenti (lamentations) qui illustrent les peines et les douleurs individuelles ou collectives de la vie, enfin les voceri (complaintes funèbres), abîmes de désespoir, qui hier encore, accompagnaient le mort.
Toutes les occasions étaient bonnes jadis pour chanter à l' unisson. Les jeunes gens aimaient particulièrement faire preuve de leur talent en public par la cantara, sorte d'aubade accompagnée généralement d'une guitare, d'un violon, ou de la cetera.
On chante, surtout, à plusieurs voix pour perpétuer l'antique tradition des bergers qui entonnaient en pleine montagne des chants à trois voix, les fameux paghjella polyphoniques, les mieux conservés et les plus usités. A l' inverse de la plupart des autres formes du chant corse, la paghjella accorde plus d'importance à la voix qu'aux paroles, elle se chante sans accompagnement. Jadis, elle se chantait à l'église ou durant les processions.
Ici, on chante a capella bien sûr, comme pour faire résonner l'écho venu de l'âme.
Terzine, Lamentu, Paghjella, chants liturgiques, les polyphonies corses sont caractérisées par un chant à trois voix: le Bassu, la Seconda, et la Terza.
Parmi ces chants, la paghjella occupe une place à part. En dépit de son nom - de paghju : paire - il s'interprète à trois voix. Ce chant, qui dépasse aujourd'hui les limites de l'île, est l'héritage d'une longue tradition vocale. Elle exprime toute la culture et l'âme corse. Elle tient sa renommée de la virtuosité et de l'harmonie des trois voix.
Leur "entrée" se fait de façon immuable: la Seconda qui porte le chant, entonne, le Bassu, plus grave, vient la soutenir, alors la Terza, la plus haute, vient ajouter ses ornements.
On voit également renaître dans les cafés, le currente, ce poème improvisé sur lequel on finit par délirer en poussant la chansonnette, et tant pis si c'est seulement le contenu du journal qu'on déclame...
L'important étant de chanter.
L'écho des chants pastoraux transmis de père en fils et de vallée en vallée ne s'est pas éteint dans l'île. Dans les années 70, période de renaissance culturelle (riacquisitu), les Corses ont brandi les polyphonies comme un oriflamme et redonné à la tradition une réelle modernité.
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Source : http://pagesperso-orange.fr/bludimare/lechant.htm